Découvrez le Dossier spécial réalisé par l’Agefi suite à l’Université d’été de l’Asset Management (UeAM 2021) auquel a contribué Jean-François Bay Directeur Général de Quantalys.
Dans un contexte marqué par une crise sanitaire et les premières conséquences du Brexit, penser l’avenir de la gestion d’actifs en Europe reste cette année encore une nécessité. C’est dans ce contexte particulier que s’est tenue à l’Université Paris Dauphine – PSL l’Université d’été de l’Asset Management, le 26 août dernier.
Cette 8e édition, co-organisée par la House of Finance de Dauphine, Sanso IS et Quantalys, a rassemblé des experts économistes et des gérants d’actifs autour de 3 thèmes liés aux grandes transitions majeures en marche : la transition écologique et le changement climatique, la transition technologique, la transition démographique et les challenges de la Silver Economy.
Chaque transition prise individuellement engendre des besoins de financement auxquels il est déjà difficile de répondre. Pris ensembles, les enjeux et le défi sont encore plus grands, et seule une mobilisation générale de l’investissement privé offrira une solution crédible. Les gérants d’actifs ont un rôle central à jouer, localement sur chaque marché mais également au niveau européen.
PANORAMA MONDIAL ET FORCES EN PRÉSENCE
UN NIVEAU MONDIAL, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’industrie de l’asset management gère plus de 100.000 milliards de dollars de capitaux à fin 2020, soit une part de marché de 36 % vis à vis de l’ensemble des capitaux gérés dans le monde (près de 300.000 milliards de dollars) par tous les investisseurs, que ce soit les fonds de pension, les institutions publiques, les fonds souverains, la gestion de fortune, les investisseurs individuels, etc. Cette part de marché de la gestion collective face aux investissements effectués par les investisseurs en direct n’a cessé de croître en 15 ans, passant de 31 % à 36 %. Cela correspond à une dynamique de croissance de 173 %, soit une augmentation significative des actifs de 8 % par an ! Autrement dit, quand les investisseurs décident d’investir, ils ont de plus en plus tendance à confier leurs capitaux à des professionnels de la gestion collective.
Dans la distribution des fonds, les fonds les moins liquides (private equity, immobilier…) et les fonds les plus liquides (ETF, fonds indiciels…) sont les deux segments qui ont connu la dynamique la plus forte »
Autre constat : la part gérée par les investisseurs indi- viduels dans le monde (64 % de l’ensemble) est supérieure à celle gérée par des institutionnels (33 %) et représente une source de forte croissance ces dernières années pour l’industrie de la gestion. En effet, les particuliers et les grandes fortunes connaissent une hausse importante de leur épargne ou de leurs actifs partout dans le monde alors que les investisseurs institutionnels (caisses de retraite, fonds publics…) ont été moins dynamiques (pour des raisons économiques liées à la montée du chômage ou aux besoins de trouver des capitaux par des Etats de plus en plus endettés). Parmi les 100.000 milliards de capitaux gérés par l’industrie de la gestion collective mondiale, les fonds d’investissement captent 53 % du stock (donc environ
54.000 milliards de dollars) et les mandats de gestion 47 %.
La gestion des fonds représente ainsi une dynamique de croissance beaucoup plus forte que la gestion sous mandat et, au sein des fonds d’investissement, ce sont les segments des ETF (exchange-traded funds) et celui des fonds d’actifs tangibles (fonds immobiliers, fonds de private equity…) qui connaissent la plus forte progression sur 15 ans avec +333 % et +233 % respectivement.
FUND MANAGEMENT : LA PLACE DE L’EUROPE
SI L’ON FAIT UN FOCUS uniquement sur l’industrie des fonds et ETF (soit près de 54.000 mil- liards de dollars dans le monde à fin 2020 et près de 60.000 milliards au premier semestre 2021), hors mandats de gestion, on constate que cette industrie des fonds, selon l’OCDE et l’association européenne de l’industrie de la gestion d’actifs (Efama), est dominée par les Etats-Unis avec une part de marché de 48 % (ou près de 30.000 milliards de dollars), suivis par l’Europe avec 32 % des actifs gérés dans le monde via des fonds (ou 19.000 milliards de dollars). La Chine, avec 4 % (ou 2.500 milliards de dollars) se classe désormais à la troisième place et connaît une forte croissance ces dernières années ; elle vient de passer devant l’Australie ou le Japon. Le marché nord-américain domine par le fait que cette industrie américaine est plus ancienne et plus mature car elle s’est structurée après le Seconde Guerre mondiale. Rappelons par exemple que la société Fidelity voit le jour en 1946 à Boston. Il faut attendre les années 1960 pour observer le même phénomène en Angleterre et les années 1990 pour que nos anciennes boutiques comme la Financière de l’Echiquier ou les filiales des banques se constituent.
Par ailleurs, la raison de la hausse des encours aux Etats-Unis tient au fait que la majorité des actifs gérés sur ce marché (55 %) l’est par des fonds actions plus sensibles aux dynamismes de l’effet de marché et bénéficient d’un effet accélérateur quand les marchés croissent. En Europe, la répartition des actifs est bien plus diversifiée qu’aux Etats-Unis avec 32 % seulement des actifs gérés dans les fonds actions, 22 % dans les fonds obligataires, 21 % dans les fonds allocation et 8 % dans les fonds monétaires.
Rapporté au PIB mondial, le poids du marché de l’asset management par zones géo- graphiques montre un pourcentage des actifs bien supérieur au PIB dans les pays développés comme les Etats-Unis, l’Europe, l’Australie. Le marché nord-américain (Etats-Unis + Canada) représente ainsi 50 % du marché mondial de l’asset management pour 26 % du PIB mondial (rapport du PIB d’un pays par rapport au PIB mondial). En Europe, les ratios sont de 33 % des actifs gérés dans le monde pour 22 % du PIB mondial. En revanche, en Asie, la Chine pèse 15,4 % du PIB mondial mais seulement 4 % des actifs gérés, illustrant la marge de progression de l’industrie de l’asset management dans cette zone demain !
En ce qui concerne l’Europe, on constate que la part de marché cumulée du Luxembourg et de l’Irlande atteint 14 % de l’asset management au niveau mondial, bien loin de la somme de leurs PIB ! En fait, cet écart s’explique par le fait que ces pays sont aujourd’hui des plateformes administratives de gestion et de distribution des fonds Ucits (Undertakings Collective Investment in Transferable Securities) pour l’Europe entière.
LES DYNAMIQUES DE L’INDUSTRIE EN EUROPE DANS LA CRISE
EN EUROPE, 50 % environ du marché des fonds d’investissement est constitué par les célèbres fonds Ucits ouverts au public et distribués en Europe ou fonds « cross- border », soit environ 10.000 milliards de dollars. L’autre moitié concerne les fonds dédiés, spécialisés, institutionnels. En 2021, ce marché s’annonce très dynamique, stimulé à la fois par un effet de marché (+400 milliards d’euros liés à la performance des marchés à fin juin) et un effet de collecte nette (+250 milliards d’euros liés aux flux positifs à fin juin). Avec ces chiffres, 2021 apparaît comme un millésime record pour l’industrie européenne en général et également en termes de « mix-produit », avec une collecte record sur les fonds actions qui captent les trois quarts de la collecte. En effet, depuis la sortie de la crise et la sortie des vaccins contre le Covid19 (novembre 2020), on constate une collecte historique de 30 milliards d’euros par mois sur les fonds actions alors que, habituellement, les fonds actions collectaient en moyenne 30 milliards par an ! Cette collecte se fait au détriment des fonds monétaires et obligataires qui représentent moins, tant en absolu qu’en relatif.
Bizarrement, les investisseurs européens ne se tournent pas sur les fonds actions Europe mais plutôt vers les fonds actions monde.
En effet, on observe une décollecte de 26 milliards d’euros à fin juin 2021 sur la catégorie des fonds actions Europe. Les investisseurs européens privilégient plutôt les fonds actions monde thématiques ou sectoriels qui captent 1 euro sur 2 de la collecte nette sur les actions (+70 milliards d’euros). La croissance de ce segment de marché est de 80 % sur un an en Europe. Autre tendance : la collecte sur les fonds ISR (investissement socialement responsable, +86 milliards d’euros en 2021) avec, là encore, plus de 1 euro sur 2 sur ces fonds ayant intégré une approche ESG (environnement, social, gouvernance), illustrant une vraie bascule de l’industrie en faveur de la finance durable !
DEPUIS LA SORTIE DE CRISE, LES INVESTISSEURS PRIVILÉGIENT LA GESTION ACTIVE, VOIRE TRÈS ACTIVE, AVEC UNE COLLECTE CUMULÉE DE MILLIARDS D’EUROS SUR LES FONDS ACTIFS MILLIARDS D’EUROS SUR LES FONDS ACTIFS.
En effet, les investisseurs européens veulent des fonds avec plus d’impact, c’est-à-dire des fonds articles 8 ou 9 selon la nouvelle classification européenne SFDR (Sustainable Finance Disclosure), plutôt que les fonds non-ISR ou moins impactants.
Depuis 2020, deux tiers des flux vont vers les fonds ISR avec un avantage pour ceux considérés comme ayant le plus d’impact. C’est pourquoi les sociétés de gestion proposent de plus en plus de fonds « verts foncés » et plus granulaires sur des thématiques : environnement, climat, énergies renouvelables, économie circulaire, eau, forêt, etc. La réglementation telle que SFDR pousse ainsi les réseaux de distribution à réagir en conséquence. Les Etats, les banques centrales, les gouvernements ou les universités se sont emparés du sujet et martèlent l’importance de l’ISR.
Autre élément remarquable : depuis la sortie de crise, les investisseurs privilégient la gestion active, voire très active, avec une collecte cumulée de 191 milliards sur les fonds actifs pour une collecte cumulée de 114 milliards sur les ETF et fonds indiciels depuis janvier 2020. Néanmoins, en termes de dynamique de croissance, les ETF continuent de gagner des parts de marché avec une croissance de 20 %.
Enfin, pendant cette période de crise, les investisseurs européens ont eu tendance à privilégier les grands gérants mondiaux qui captent plus de 70% de la collecte nette sur 2021, illustrant la force de frappe de ces acteurs en termes de distribution de fonds.
2021 : LES GÉRANTS AMÉRICAINS RAFLENT LA MISE, POSANT LA QUESTION DE LA SOUVERAINETÉ EUROPÉENNE DE L’ÉCOSYSTÈME FINANCIER
DEPUIS LE DÉBUT de l’année 2021, on remarque une exacerbation de la domination des Etats- Unis. En effet, les cinq plus gros collecteurs en Europe ont capté près de 50 % de la collecte nette ! Et dans le classement de tête, les gérants américains sont très bien représentés (BlackRock, JPMorgan, Vanguard sont en tête avec respectivement +65 milliards d’euros, +18 milliards et +17 milliards à fin juin 2021).
En dynamique, sur les fonds cross-border Ucits pour le premier semestre 2021, on constate une collecte de plus de 300 milliards d’euros avec la majorité de la collecte se retrouvant sur les fonds luxembourgeois (+180 milliards d’euros) et sur les fonds irlandais (+90 milliards d’euros), alors que sur la même période, les fonds domiciliés en France décollectent 40 milliards.
Le marché européen est en fait largement dominé par les gérants américains, surtout pour les ETF. Les acteurs américains dominent le marché européen de la tête et des épaules, ou plus exactement sur les actifs gérés (près de 3.000 milliards d’euros pour les gérants américains), sur le nombre de fonds (près de 30.000 fonds), sur les flux (en moyenne +171 milliards d’euros sur la période par an), et se positionnent en troisième position pour les fonds ESG en Europe derrière la France (51 % des fonds gérés par les français sont aujourd’hui des fonds ISR).
Le Royaume-Uni traîne derrière en termes d’encours (654 milliards d’euros) ou de collecte (+8 milliards). En revanche, les gérants suisses profitent des tendances en Europe avec un bon positionnement sur l’ISR (20 % des actifs gérés), des actifs importants, un grand bassin de fonds (plus de 16.000) et une bonne qualité de gestion (les fonds gérés par des gérants suisses sont notés en moyenne 3.02 étoiles par Quantalys contre en moyenne 2.89 étoiles pour les gérants français).
Taille des encours, capacité d’investissement en Europe, recherche financière, recherche extra-financière… la question de la souveraineté du Vieux Continent se pose clairement. En prenant l’exemple uniquement des parts de marché des fournisseurs d’indices des ETF distribués en Europe, on retrouve quatre grands acteurs américains (MSCI, S&P Global, Bloomberg Barclays, FTSE Russell) qui trustent près de 90 % du marché, que ce soit les indices actions ou obligataires. Les conséquences sur les normes comptables, les réglementations financières ou les normes et indicateurs extra-financiers demain seront influencés par la finance américaine !
CONCLUSION : LES 10 ENJEUX FUTURS POUR L’INDUSTRIE DE LA GESTION
EN CONCLUSION, CES DONNÉES ET ANALYSES NOUS PERMETTENT D’IDENTIFIER 10 GRANDES TENDANCES POUR L’INDUSTRIE DE LA GESTION EN EUROPE :
- La monté en puissance des investisseurs individuels face aux institutionnels : la dynamique de constitution d’épargne, accélérée dans la crise, de la réorientation de cette épargne liquide vers les investissements productifs (unités de compte…) va aiguillonner la distribution de fonds dans les prochaines années.
- Digitalisation de l’industrie : révélée pendant la crise, les investisseurs veulent pouvoir accéder et gérer leur patrimoine à tout instant, partout et via tous les supports technologiques (phénomène « atawad »). Les données, analyse et outils seront clés pour engager les investisseurs, leurs conseillers financiers et les aider à prendre les bonnes décisions.
- « Goal-based investing » : les investisseurs veulent une approche « solution » plutôt qu’une approche « produit ». Ils veulent pouvoir se projeter et décider en fonction de leurs propres objectifs financiers plus que des produits ou des marchés financiers. D’où le succès de la gestion pilotée et des solutions retraites (PER…).
- « Impact investing » : l’ISR prend une place plus importante dans l’investissement à long terme par des investisseurs de plus en plus conscients des enjeux futurs et qui souhaitent flécher leurs investissements vers ces besoins de financement (environnement, climat, énergies nouvelles, eau, forêt, biodiversité…).
- « Thematic investing » : les investisseurs s’approprient les mutations de long terme pour transformer un risque en opportunités d’investissement visibles et durables telles que le vieillissement de la population, la sécurité, l’intelligence artificielle, etc.
- Equity : Le financement en fonds propres sera plus important et plus adapté au développement des entreprises futures que le financement par la dette.
- ETF : facilité, liquidité, lisibilité, adapté aux plateformes digitales, l’ETF s’est imposé comme un outil de gestion incontournable en Europe.
- Prime d’illiquidité et inflation : dans un environnement de croissance molle et de taux d’intérêt bas, voire négatifs, les investisseurs vont continuer à se tourner vers les actifs illiquides tangibles (immobillier, infrastructures, private equity, private debt…). C’est aussi un moyen de retrouver du rendement, de l’indexation à l’inflation, et de sortir de la frénésie des marchés cotés.
- Education : l’éducation et la pédagogie seront au cœur de l’accompagnement des réseaux de distribution et de l’engagement des investisseurs finaux aux solutions proposées. Si l’on veut que les investisseurs finaux adhèrent, orientent leur épargne liquide peu rémunérée vers les investissements productifs et ne deviennent pas des traders sur le bitcoin, seule la pédagogie peut durablement les amener à devenir des investisseurs stables.
- Les blockbusters : l’industrie de la gestion, comme l’industrie du cinéma, devient une industrie de la distribution nécessitant des ressources de plus en plus importantes et entraînant une concentration des acteurs. La création de marques bien identifiables par les investisseurs, notamment en B2C, semble être inévitable.
TROIS BONNES NOUVELLES COMME AUTANT DE PERSPECTIVES POUR NOTRE INDUSTRIE :
- On constate un stock d’épargne liquide non rémunéré très important en France, en Europe et dans le monde. Par exemple, la Banque de France relève une épargne financière de précaution de plus de 1.700 milliards d’euros (la somme des Livrets A et autres produits d’épargne liquide et dépôts à vue) et de plus de 2.000 milliards d’euros en assurance-vie (stock majoritairement investi sur le fonds en euros). Aux Etats-Unis, en 2021, le taux d’épargne des ménages est à un niveau historique (27,6 % du revenu disponible des ménages américains). Le potentiel de capitaux à réorienter dans le monde est donc colossal.
- On constate en même temps des taux d’intérêt durablement bas, voire négatifs, dans le monde et une percée du niveau d’inflation. Les derniers chiffres aux Etats-Unis font apparaître sur le mois d’août une inflation à +5,3 % en rythme annualisé, une hausse des prix à la production à +8,3 % et une progres- sion des salaires à +4 % (un record sur les trois indicateurs depuis plus de dix ans). Les investisseurs ont beaucoup d’épargne liquide mais perçoivent des rendements négatifs nets d’inflation ! Pas possible se s’endormir sur son épargne.
- On constate des besoins de financement dans le monde, avec des Etats surendettés qui auront tendance à se désengager et à compter sur le financement privé : transformation digitale, sécurité/cybersécurité, économie spatiale, transition climatique, vieillissement des populations, relocations des industries et des chaînes de production… Les besoins de financement sont colossaux partout dans le monde comme autant d’opportunités d’investissement. Depuis les vingt dernières années, les investisseurs européens ont manqué certaines tendances clés telles que la tech (avec une domination américaine) ou bien la mondialisation (qui a plutôt profité à la Chine). Espérons que, pour les vingt prochaines années, les investisseurs et les sociétés de gestion européennes profitent de ces grandes mutations futures et développent des champions dans ces domaines.