Les niveaux records de l’épargne de précaution peuvent-ils perdurer ?

Découvrez les réponses de Stéphane Hamayon, Directeur des études économiques Harvest Groupe, recueillies par Jean-Charles NAIMI,Secrétaire Général VOVOXX pour le magazine Dessine moi la gestion de patrimoine by Vovoxx,  

L’épargne de précaution atteint des niveaux records avec la crise. Pensez-vous que ce phénomène peut encore durer sur les prochains mois ?


Commençons par un bref rappel historique pour souligner que les différentes mesures gouvernementales protectrices de chômage partiel, de report des paiements des charges sociales et de soutien à l’économie ont permis, globalement, de préserver le pouvoir d’achat des ménages tout en aidant les entreprises à passer le cap. Malgré les différences de traitement entre salariés et non-salariés, l’essentiel a pu être sauvé. Parallèlement, la chute de la consommation a engendré un taux d’épargne financière qui a culminé à 13 % au premier trimestre 2021 avant de repasser à 10,5 % au deuxième trimestre, alors que sa vitesse de croisière avoisinait les 5 % sur les dix années précédentes, engendrant ainsi un surplus d’épargne de 170 milliards d’euros à fin 2021. La sur-épargne ne dégonflera significativement qu’avec la dissipation de la menace Covid. En effet, Les travaux sur l’épargne de précaution montrent que lorsque les ménages sont soumis à de fortes incertitudes, ils accumulent un stock d’épargne pour faire face à cette situation. Cette épargne de précaution est par nature investie sur des actifs financiers facilement mobilisables à moindre coût, donc des actifs sans risque. La prudence accrue des ménages correspond à une adaptation rationnelle au nouvel environnement économique et sanitaire marqué par une augmentation des risques non assurables.

Dans cet environnement, les conseillers en gestion de patrimoine tirent apparemment leur épingle du jeu grâce à un effet de « stock » : la sur-épargne Covid s’ajoute aux 124 milliards d’épargne financière attendus hors pandémie. Fin 2021, l’épargne financière accumulée depuis le premier trimestre 2020 atteindrait 294 milliards d’euros.
Mais nous sommes loin du grand mouvement d’investissement sur l’épargne de long terme que tout le monde avait en tête avec la promulgation de la loi Pacte. A cela vient s’ajouter ce que les économistes appellent « l’équivalence ricardienne », qui amènent les ménages à renforcer leur épargne en anticipant des hausses d’impôts face au creusement des déficits budgétaires.

Sur la croissance et les risques d’inflation, peut-on, selon-vous, avoir une vision claire à ce jour ?


Non car l’incertitude est trop importante quant à la stabilisation de la situation sanitaire. Les prévisions de croissance fluctuent et ne cessent d’être révisées en fonction de l’évolution des variants. Par ailleurs, d’après la Banque de France, l’inflation totale devrait s’établir légèrement au-dessus de 2% d’ici la fin 2022 et rien n’indique, pour l’heure, l’amorce d’un mouvement de spirale prix-salaire. Il n’y a donc pas de raison pour que la Banque centrale européenne (BCE), contrairement à la réserve fédérale aux Etats-Unis, augmente ses taux d’intérêt cette année. Au-delà de ce terme, un certain nombre d’autres facteurs économiques peuvent exercer une pression sur les prix. La transition énergétique, bien qu’indispensable, n’est pas neutre sur le pouvoir d’achat des ménages. Le consommateur devra accepter de payer le prix du renoncement aux énergies fossiles. Même chose pour l’immobilier où l’engouement pour la délocalisation en régions, favorisé par le télétravail, risque de faire grimper les prix de l’immobilier dans certaines zones, sans pour autant faire baisser ceux des grandes métropoles.

Quels sont les défis pour les jeunes générations ?

Au départ, le confinement devait finir avec la première vague, nous en sommes aujourd’hui à la cinquième. Les perturbations induites ne sont pas encore très visibles même s’ils elles se profilent sur un plan économique. Certaines sont graves, notamment en qui concernent les étudiants avec un nombre de décrocheurs estimé entre 8 % et 10 %. La France n’a malheureusement pas besoin de générations perdues. Au contraire, nous sommes confrontés à un déficit de main-d’œuvre qualifiée pour faire face aux défis technologiques de demain. Chaque année, plus de cent mille jeunes quittent prématurément le système scolaire sans maîtriser les savoirs fondamentaux. Selon l’OCDE, il s’agit d’une perte de productivité qui bride le potentiel de croissance de notre pays.
A titre plus anecdotique, on notera que les « préférences » des consommateurs, notamment l’aversion pour le risque, se forment au cours des années de jeunesse. Il est possible que les choix d’épargne des jeunes générations restent marqué durablement par la crise sanitaire.

La dette est-elle soutenable ?

En théorie, Il est impossible de déterminer un ratio de dette publique sur PIB à partir duquel la dette deviendrait non soutenable. La dette est considérée comme soutenable si le solde public primaire requis pour stabiliser le ratio de dette sur PIB est atteignable. Pour cela il suffit que le taux de croissance de l’économie en valeur soit supérieur au taux d’intérêt apparent de la dette publique. Naturellement, si la dette est stabilisée à un niveau très élevé sa sensibilité à des chocs économiques exogènes (crise économique, remontée des taux d’intérêt), qui risqueraient de la placer sur une trajectoire explosive, est naturellement plus probable.


Plus factuellement, les banques centrales n’avaient pas jusqu’à présent l’habitude d’injecter autant de liquidités dans l’économie avec, en Europe notamment, les politiques de rachats de dettes dont il y a fort à parier que le remboursement ne pourra s’étaler que sur plusieurs décennies. Les Etats-Unis ne se privent pas eux non-plus de pratiquer cette politique monétaire dite accommodante, sans contrepartie. Aujourd’hui, cette dette est supportable compte tenu de la faiblesse des taux d’intérêt, mais la situation pourrait se détériorer si un différentiel de croissance ou d’inflation intervenait entre les zones économiques obligeant alors les banques centrales des pays retardataires à relever leurs taux directeurs.

Il semblerait pourtant que la dette ne soit pas le problème à court-terme. Qu’en pensez-vous ?

Aujourd’hui, nous pouvons dépenser des milliards car la BCE − dans le cadre de son Programme d’urgence face à la pandémie − rachète sur le marché secondaire les dettes d’Etats y compris celles des pays dont la dette souveraine est mal notée. Du coup, les investisseurs n’ont plus peur d’y souscrire, la BCE jouant le rôle d’acheteur en dernier ressort.
Toutefois, alors que l’inflation progresse en Europe, certaines voix s’élèvent pour réduire les capacités d’action de la BCE afin de maîtriser la hausse des prix. Si demain, les pays du Nord veulent revenir à une politique plus orthodoxe et ne plus accompagner les pays plus laxistes sur le plan budgétaire, en limitant les politiques monétaires accommodantes, alors le financement de la dette pourrait devenir problématique.