Mandatés début 2020 par le président de la République pour se pencher sur les problématiques structurelles (économiques, sociales, environnementales) auxquelles nous sommes confrontés, Olivier Blanchard et Jean Tirole (respectivement professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology, Fred Bergsten Senior Fellow, Peterson Institute for International Economics et président honoraire de la Fondation Jean-Jacques Laffont/École d’économie de Toulouse et de l’Institute for Advanced Study in Toulouse) ont réuni une commission composée de 24 économistes appartenant à des courants intellectuels et politiques variés.
En juin 2021, les auteurs ont remis leur rapport, axé sur les 3 principaux défis structurels à long terme qu’ils ont jugés prioritaires : le changement climatique, les inégalités économiques et le vieillissement démographique. Les préconisations formulées pour faire face à ces questions pourraient inspirer des réformes futures notamment en matière de taxation des transmissions et du capital (pistes évoquées pour réduire les inégalités) et de retraite (pour répondre aux problématiques démographiques).
Note : Seules les pistes ayant une incidence patrimoniale sont traitées ci-dessous.
Taxer mieux et non d’avantage
Le 1er grand défi auquel les auteurs du rapport s’attaquent est la réduction des inégalités. Pour y faire face, l’un des principaux leviers identifiés, pour son effet redistributif, est la fiscalité, et plus précisément l’imposition des transmissions et la taxation des capitaux. Conscients de l’assentiment des Français envers toute hausse de la pression fiscale, les auteurs préconisent de taxer mieux et non davantage. L’objectif est de rétablir de l’équité dans le système actuel, sans augmenter les taux, mais en traquant les failles et possibilités d’optimisation inhérentes au système fiscal qui profitent davantage aux ménages les plus aisés.
Fiscalité des transmissions
Les auteurs du rapport proposent de refondre totalement la fiscalité des transmissions.
Les bénéficiaires seraient imposés, de manière globale et progressive, sur l’ensemble des biens qu’ils perçoivent au cours de leur vie (donations et successions, sans considération de leur source), et non, comme actuellement, au titre de chaque don ou bien reçu en héritage selon des règles et en l’application de tarifs variant selon la nature et l’origine des biens transmis.
Ils préconisent ainsi de supprimer le mécanisme du rappel fiscal et de limiter au maximum les exonérations afin de mettre fin aux pratiques de planification des transmissions permettant une optimisation fiscale, la plupart du temps réservées, dans les faits, aux patrimoines les plus élevés. Le dispositif Dutreil pourrait, selon les auteurs, être plafonné afin qu’il bénéficie davantage aux petites et moyennes entreprises, plus enclines à rencontrer des problèmes de liquidités.
Dans ce système, l’imposition serait progressive, de manière à ce que ceux qui reçoivent davantage soient plus taxés. Les taux préférentiels, fondés sur la relation entre le donateur et le donataire, ou le défunt et l’héritier, pourraient en revanche être préservés dans leur principe.
Ils plaident en parallèle pour la mise en place d’un abattement global, dont le montant pourrait être relativement élevé aux fins de ne pas pénaliser les classes moyennes.
Ils estiment enfin qu’il pourrait être opportun de mettre en place des dispositifs tendant à inciter les transmissions fondées sur l’âge du bénéficiaire, pour que celles-ci profitent aux plus jeunes.
Conscients du risque d’évasion fiscale lié à la mise en place d’un tel système, les auteurs du rapport recommandent toutefois aux pouvoirs publics de « réaliser de plus amples études pour en estimer avec exactitude les coûts et les avantages« .
Assurance vie – Repenser l’exonération des droits de succession ?
Toujours dans le but de limiter les possibilités d’échapper à l’impôt sur les successions, qui demeurent, selon eux, encore trop nombreuses dans le système actuel, les auteurs suggèrent notamment de réexaminer le régime fiscal préférentiel de l’assurance vie. Cette proposition rejoint celle formulée par l’OCDE (quelques semaines plus tôt dans son rapport sur l’impôt sur les successions dans les pays membres), ainsi que diverses autres voix du monde politique (une proposition de loi visant à réformer la fiscalité des droits de succession et de donation avait également été déposée en ce sens par une députée PS l’an dernier).
Pour rappel, les contrats d’assurance-vie bénéficient, en France, d’une fiscalité avantageuse en cas de succession :
- pour les versements effectués avant les 70 ans de l’assuré, chaque bénéficiaire peut percevoir jusqu’à 152 500 € sans aucune taxation. Au-delà de ce seuil, les sommes sont imposables au taux fiscal de 20 % (31,25 % au-delà de 700 0000 €). A ce titre, le rapport cite une étude menée par France Stratégie indiquant que les recettes provenant des droits de succession seraient de 20 % plus élevées sans cette exonération.
- pour les versements effectués après 70 ans, l’ensemble des bénéficiaires a droit à un abattement global de 30 500 €. Au-delà de ce seuil, les droits de succession classiques s’appliquent.
Ces exonérations sont cumulables avec l’abattement de 100 000 € prévu pour les successions entre parents et enfants. Ainsi, un héritier peut recevoir la somme maximale de 252 500 € en totale franchise d’impôts.
Ces divers abattements et niches fiscales bénéficient aux revenus les plus élevés et favorisent ainsi les inégalités économiques dès la naissance, et leur maintien pose question.
Fiscalité des capitaux
De la même façon que pour les transmissions et l’assurance vie, les auteurs mettent en avant l’importance d’améliorer l’efficacité de la taxation des revenus et plus particulièrement des capitaux pour réduire les inégalités. Ils proposent ainsi :
- d’améliorer la taxation des revenus mobiles (revenus du capital) non pas en augmentant les taux d’imposition (ces réformes se soldant le plus souvent par une fuite des capitaux et la baisse des recettes fiscales) mais en évitant les fraudes grâce à l’augmentation des contrôles ciblés au moyen de l’intelligence artificielle, à l’échange automatique de renseignements entre pays et en gommant les distorsions fiscales entre eux (instauration d’un taux minimum d’imposition, abandon du critère de résidence au profit d’un critère basé sur la demande -CA, clients, produits-, ..) ;
- de réduire l’écart de taxation entre revenus mobiles et revenus du travail (non mobiles) afin d’éviter un transfert de bénéfices d’un cadre fiscal à l’autre (plus avantageux) : par exemple, un travailleur indépendant peut choisir de se constituer en société, un entrepreneur de se verser des dividendes plutôt qu’un salaire, permettant ainsi aux ménages les plus aisés d’arbitrer la nature des revenus qu’ils perçoivent pour optimiser leur imposition ;
- traquer les niches fiscales inutiles grâce à un processus d’évaluation et de révision des différentes exonérations fiscales. Si certaines d’entre elles répondent à une logique d’efficacité (l’exonération des plus-values dans le cadre du PEA étant par exemple destinée à réorienter l’épargne des ménages massivement investie dans l’assurance vie en euros, vers l’économie réelle) d’autres sont plus discutables, comme la réduction d’impôt Pinel, maintes fois critiquée, et l’exonération de la plus-value réalisée à l’occasion de la cession de la résidence principale, exonération qui devrait être réservée, selon les auteurs du rapport, aux résidences dont la valeur n’excède pas un certain montant ;
- entamer une réflexion sur la taxation des plus-values latentes. Actuellement les plus-values sont imposées lors de leur réalisation (imposition du flux) et non de leur accumulation (imposition du stock), ce qui permet aux contribuables de choisir le moment de la taxation et de différer la réalisation de la plus-value à des fins fiscales. Le principe de taxation sur les flux, appliqué actuellement dans la plupart des pays, se justifie notamment par la nécessité de disposer de liquidités pour s’acquitter de l’impôt, liquidités générées uniquement en cas de vente, donc de réalisation de la plus-value…
Retraite – Des pistes d’amélioration concrètes
2nd enjeu économique d’envergure abordé par les auteurs du rapport : l’adaptation au vieillissement de la population, et plus particulièrement le sujet épineux de la retraite.
S’ils reconnaissent que le projet de réforme des retraites constitue « une excellente base de départ », dans la mesure où il prévoit l’instauration d’un système de retraite par points transparent et intelligible, ils émettent toutefois plusieurs pistes d’amélioration. Parmi elles figurent l’ajustement des modalités de calcul des droits à retraite, l’abandon de la notion « d’âge unique de départ à la retraite » au profit de celle de « fenêtre de départ », ou encore la mise en place d’un dispositif de redistribution accrue.
Vers un probable retour de l’indexation des prestations sur les salaires
Afin d’assurer l’équilibre des régimes de retraite et limiter l’impact des chocs financiers successifs, plusieurs ajustements économiques ont été instaurés, parmi lesquels figure l’indexation des prestations de retraite sur les prix, mise en place au début des années 1990 se substituant à l’indexation sur les salaires auparavant appliquée. Bien que cette méthode de revalorisation ait permis de réaliser des économies, elle présente 3 principaux inconvénients :
- les salaires augmentant plus vite que les prix, les prestations de retraite -indexées sur les prix- diminuent ainsi continuellement par rapport aux salaires, ce qui, selon les auteurs du rapport, risque de devenir « politiquement inacceptable » ;
- elle a pour effet de créer une trop forte dépendance de l’équilibre du régime vis-à-vis de la croissance de la productivité (évaluée en calculant la différence entre la progression des salaires et celle des prix), qui constitue une variable dont l’évolution est très incertaine ;
- enfin, elle pénalise les revenus perçus en début de carrière par rapport à ceux perçus ultérieurement, « ce qui est difficilement justifiable ».
Afin de pallier ces points négatifs, la commission préconise de rompre avec l’indexation sur les prix au profit d’une indexation sur les salaires corrigée d’un facteur d’ajustement démographique garantissant de manière transparente et prévisible l’équilibre du système des retraites.
Suppression de l’historique « valeur d’acquisition du point » ?
Dans un système de retraite par points, les cotisations sont, pour chacune des années de la carrière, converties en points au moyen d’une formule consistant :
- soit à diviser le montant des cotisations par une valeur d’acquisition ;
- soit à attribuer un nombre de points en fonction du ratio rapportant le revenu d’activité individuel au revenu d’activité moyen.
La plupart des régimes de retraite par points appliquent la 1ère formule, à l’instar du régime de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO. C’est d’ailleurs cette 1ère méthode de calcul qui a été retenue par le projet de réforme du système de retraites. Compte tenu de la nécessité d’introduire une relation simple et transparente entre le revenu perçu au cours de la carrière et les points accumulés, la commission recommande, a contrario, de s’affranchir de la valeur d’acquisition du point et propose d’exprimer les points acquis en pourcentage du salaire moyen. Ainsi, un travailleur ayant perçu 100 % du salaire moyen pendant une année acquerrait 100 points au cours de cette même année, 80 points s’il a perçu 80 % du salaire moyen, 150 points s’il a perçu 150 % dudit salaire, etc. Un tel mécanisme permettrait d’atteindre avec transparence l’objectif « un euro cotisé ouvre les mêmes droits« .
L’instauration d’une « fenêtre de départ » en lieu et place de l’âge unique du taux plein
Le projet de loi visant à réformer le système des retraites prévoit l’instauration d’un « âge pivot« , fixé à 64 ans, permettant au travailleur ayant accompli une carrière « classique » et justifiant du nombre de points requis de liquider sa retraite à taux plein.
La fixation d’un âge « unique » du taux plein est vivement critiquée par la commission, qui ne l’estime pas adapté aux carrières actuelles, très fluctuantes et parfois instables. Elle préconise ainsi d’abandonner la notion d’âge pivot, et d’introduire le concept de « fenêtre de départ« . Celle-ci aurait pour borne inférieure l’âge minimal de départ à la retraite, actuellement fixé à 62 ans, mais ne contiendrait pas de borne supérieure.
L’objectif de l’instauration d’une telle fenêtre est d’inciter les actifs à continuer à travailler tant qu’ils en ont la possibilité. Pour ce faire, il est envisagé d’instaurer des dispositifs incitant les employeurs à prolonger les contrats de travail de leurs salariés aussi longtemps que les 2 parties le souhaitent. Par ailleurs, la commission recommande de renforcer les incitations financières à la prolongation d’activité, tel que le mécanisme de « décote/surcote » consistant à appliquer un « malus » s’imputant au montant de la pension de retraite en cas de départ avant l’âge du taux plein, ou un « bonus » s’ajoutant audit montant en cas de report du départ à la retraite.
La nécessaire mise en place de mécanismes de redistribution accrue
La commission recommande d’introduire un mécanisme d’attribution de « points gratuits » supplémentaires aux actifs dont le revenu perçu sur l’ensemble de la carrière est inférieur à la moyenne, ou dont la carrière professionnelle a été parsemée de difficultés, afin qu’ils puissent partir plus tôt à la retraite, et percevoir des prestations plus élevées.